CLEMENCE ♣ Quand je lancerai la mutinerie des patients, Voldemort sera le premier à trinquer

Je ne sais pas si vous connaissez le premier polar de S.J. Watson intitulé « Avant d’aller dormir ». En gros, l’héroïne est atteinte d’une forme rare d’amnésie. Ce qui fait que chaque matin, elle se réveille à côté de son mari, mais elle ne se souvient absolument pas de lui. Ni de sa vie jusqu’à un certain moment, ce qui fait que parfois elle croit être une enfant, et d’autre fois une femme d’une vingtaine d’années. Vous devez sans doute vous demandez pourquoi je parle de ça. Parce que, pour tout vous dire, j’ai connu un cas similaire. Pas moi, mais ma mère. Lorsque j’avais environ quinze ans – en pleine crise d’identité, je changeais de look aussi souvent que je le pouvais pour trouver mes marques – ma mère s’est fait renversée par une voiture alors qu’elle revenait au collège pour me rapporter le sac de sport que j’avais oublié à la maison. A l’hôpital, les médecins nous indiquaient que son cas n’était pas alarmant, mais qu’à cause du choc crânien, ma mère serait peut-être victime d’amnésie, ce qui était assez courant, disaient-ils, mais que ça allait rapidement revenir à la normale. A son réveille, elle a tout de suite reconnu mon père. Elle était heureuse de le voir. Et quand je me suis approchée, je m’attendais à la même réaction. Elle m’a regardé avec étonnement. Maintenant que j’y repense, on pouvait parfaitement lire dans ses yeux qu’elle n’avait aucun souvenir de moi. Toute ma vie était effacée de sa mémoire. Moi, sa propre fille. Elle n’a pas voulu croire qu’elle ait pu avoir une fille. Je ne vous dis pas le traumatisme. La seule personne féminine auprès de laquelle je pouvais me confier n’avait aucun souvenir de mon existence. Je suis tout de suite sortie de la chambre, en larme. C’est une infirmière qui est venue me consoler, me répétant que ce ne serait que temporaire. Ca, c’est ce qu’ils voulaient me faire croire. Mais jamais ma mère ne s’est souvenue de moi. J’avais beau essayé de lui raconter des anecdotes, elle en riait mais pas comme si elle en avait le souvenir. Pendant un an, son état était assez stable. Et puis elle s’est mise à avoir des troubles de la mémoire. Pour qu’elle finisse par tout oublier. Qu’elle ne devienne qu’une enveloppe charnelle sans histoire propre. Les médecins l’ont immédiatement placée dans une clinique spécialisée, mais c’était trop tard. Une infime hémorragie avait eu raison d’elle. Elle est morte un an et demi après son accident, et je suis restée avec elle jusqu’au dernier moment, bien qu’elle devait se demander si j’étais vraiment sa fille. J’ai eu du mal à m’en remettre. Beaucoup de mal. Je suis même passée par une thérapie pour réussir à faire mon deuil. Mon père lui, n’avait pas eu autant de mal. Quand j’avais dix-sept ans, il a rencontré une autre femme, il est tombé amoureux et a voulu qu’on habite tous les trois. Elle aurait voulu remplacer ma mère. Mais je l’envoyais chier à longueur de temps, lorsque j’étais au bord du gouffre. Et il y a quelques mois, mon père est entré dans ma chambre pour m’annoncer la grande nouvelle. Sa femme attendait un bébé. J’allais avoir un demi-frère. Je lui ai hurlé ses quatre vérités, et il a commencé à perdre patience, lui aussi. Et il m’a craché dans la figure des mots qui resteront toujours dans ma mémoire, même si je devenais amnésique, « De toute façon, ta mère ne se souvenait pas de toi parce que tu n’étais, tu n’es, et tu ne seras jamais de notre sang. » Il n’y avait que quelqu’un qui ne voulait pas voir la vérité en face qui n’aurait pas comprit ses mots. Sur ce, je l’ai giflé – puisqu’après tout je ne lui devais rien, il n’était pas mon père – j’ai fais ma valise, et l’imprimé d’un prospectus dans la main, je suis partie pour l’aéroport, avec l’héritage de ma mère – oui je l’appellerai toujours ainsi – en poche.

Je suis arrivée sur l’île il y a deux ou trois mois. Je n’ai pas désirée reprendre mes études, pour moi c’était devenu une perte de temps, et pour moi à vingt et un ans, il était grand temps que je me trouve un boulot. C’était surtout pour me vider la tête au départ, je l’admets. Mais serveuse au Starbucks m’apporte quand même quelques avantages : un assez bon salaire, des collègues sympas avec qui délirer lorsque c’est désert, des bonnes parties de rigolades avec les clients très lourd qui nous harcèle pour boire un café – proposition pas très subtile d’ailleurs, on bosse du matin au soir dans le café, un ras-le-bol peu donc très facilement s’installer – ou des belles rencontres en amitié. Je n’en ai pas tellement, mis à part un mec que j’ai rencontré presque immédiatement après mon arrivée, et on garde de très, très bons contacts. C’est un peu le meilleur ami que je n’ai jamais vraiment eu en France. Mais un truc assez étrange arrive de plus en plus souvent. Quelques unes de mes connaissances me demandent fréquemment ce que je faisais dans une partie ou une autre de l’île, ou même de l’université, alors que premièrement je n’y ai jamais mis les pieds, et deuxièmement je passe mon temps à bosser ou à écrire. Oui parce que quand j’ai du temps libre, je reste chez moi, l’ordinateur portable sur les genoux, et j’écris. Des nouvelles la plupart du temps, parce que je n’ai pas le temps de développer l’histoire. Je ne pense pas avoir un réel talent, même si mes professeurs m’ont souvent dit que j’avais du potentiel dans l’écriture. C’est juste pour me vider la tête des idées qui s’entrechoquent dans mon esprit à la fin de la journée, c’est tout, rien de plus.